Une histoire de censure
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(Ce soir ou) jamais !


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Si je devais faire mon mea culpa, je regretterais de ne pas avoir été plus dur, plus provocateur, plus irrécupérable, de n’avoir pas coupé tous les ponts derrière moi.
(Jean-Edern Hallier)

 

Nous sommes au tout début du mois d’avril 2013. Le premier épisode de Une histoire de censure (entretien vidéo mis en ligne quelques jours auparavant) a été un temps supprimé et la participation programmée de l’IndispensablE à l’émission Ce soir (ou jamais !) sur France 2 a été annulée pratiquement au dernier moment, les deux événements étant bien évidemment liés. Pour ceux qui s’en seraient étonnés, voici une explication factuelle et j’espère objective – pardon d’avance si c’est en conséquence un rien chiant.
Au cœur du premier épisode en question, je faisais rapidement porter à Frédéric Taddeï avec énormément de circonspection ("j’ai cru comprendre…", "je ne voudrais pas détourner ses propos…", "il faudrait lui demander précisément…", "je ne sais pas exactement ce qu’il a voulu dire…", etc. – sur une parenthèse de moins de 30 secondes, avouez que ça fait beaucoup) la responsabilité d’une affirmation qui, en soit, ne portaient guère à conséquence (en substance, des gens dans le beau métier des arts, des spectacles et des médias auraient passablement mal pris ma chanson de fort bon goût Mort aux Juifs – bon, ça, on s’en doutait un peu). Cela étant, les cons et les mal-comprenants étant légion en général et en particulier parmi les chasseurs de nazis autoproclamés, Taddeï étant un monsieur médiatiquement important et sa détermination à inviter Dieudonné ou même Nabe et quelques autres sur son plateau en faisant potentiellement une cible privilégiée desdits chasseurs de nazis, j’admets absolument avec grâce que mes propos auraient pu être mal interprétés par ces gens malveillants qui auraient eu beau jeu de voir des sous-entendus antisémites là où, je le jure – et ça semblera une évidence à tous ceux qui connaissent et comprennent mon travail – il n’y en avait aucun ("j’ai cru comprendre qu’il m’avait dit que des gens…" se transformant aisément lorsqu’on est malhonnête, paranoïaque et obsédé en "en off, Taddeï m’a affirmé que des Youpins…"), eh bon !, en ce sens ma formulation était maladroite et surtout, si j’assume de mon côté parfaitement ce que je pense, je n’ai pas à mouiller quiconque là-dedans, a fortiori une personnalité beaucoup plus connue que moi ce qui, d’une certaine façon, avait un côté un peu lâche que je regrette, un peu je me réfugie au moment de la baston derrière mon papa Frédéric.
En ce sens, lorsqu’il m’a appelé pour me demander de couper ce passage le mercredi après-midi (deux jours avant l’émission, donc), j’ai accepté avec grâce et supprimé, après m’être accordé tout au plus une demi-heure de réflexion, la vidéo incriminée. Je précise qu’à cet instant, je jure que si j’avais dû en vouloir à quelqu’un, ça aurait été éventuellement à moi pour mon manque de tact et ma maladresse et aucunement à lui. C’est dit sans ambigüité aucune, je voudrais que ce soit parfaitement entendu et que ce ne soit pas oublié lorsque vous lirez la suite de ce texte car je n’y reviendrai pas.
Et puis l’histoire aurait pu s’arrêter là, aurait dû s’arrêter là, on se serait vus lui et moi avant ou après son émission le vendredi suivant (le 5 avril, donc), on aurait parlé entre hommes et tout aurait été dit. Seulement voilà, la suite est moins claire et assurément moins glorieuse : pour qu’on puisse parler entre hommes, droit dans les yeux, il aurait fallu que je puisse me rendre sur son plateau comme convenu ce qui n’a pas pu être le cas. En effet, sans un coup de fil, sans un SMS, sans une explication de sa part, j’ai appris le jeudi après-midi, la veille de CSOJ donc, par le journaliste avec lequel j’étais en contact afin d’organiser ma venue que, sans qu’une raison sérieuse puisse être invoquée, ma participation à l’émission était annulée.
Précisons quelques détails importants (qui sont tous vérifiables puisqu’aujourd’hui on travaille par mail et que si les paroles s’envolent, les écrits restent comme le souligne justement la sagesse populaire). D’abord, je ne voulais pas particulièrement participer à cette émission tant je tenais à rester enfermé chez moi pour avancer de façon monomaniaque sur mon nouveau roman (Du champagne, un cadavre et des putes). Aussi, quand le collaborateur de CSOJ (qui est un monsieur que je connaissais avant qu’il ne travaille pour France Télévisions et qui a été absolument "clean" durant toute cette histoire, je tiens à le préciser – voyez, je détaille tout pour ne pas faire naître de nouvelles et inutiles polémiques) m’a contacté pour que je vienne montrer ma gueule sur France 2 à l’automne dernier, j’ai refusé avec courtoisie cette invitation. Lorsqu’il est revenu à la charge avec insistance en mars, j’ai pesé le pour et le contre et, en grande partie parce que mon âme de midinette a parlé et que j’étais flatté d’être à ce point désiré, j’ai accepté la proposition. Comme monter à Paris est pour moi passablement contraignant, nous nous sommes alors mis d’accord sur une date quinze jours en avance et sur un défraiement qui aurait dû m’être réglé après l’émission facture à l’appui – définitivement, je ne vous cache absolument rien – afin que je ne me retrouve pas avec un aller-retour chez moi - Paris dans le cul (je parle d’argent, je mets un mot vulgaire, c’est un rien relou je le concède mais le poignon ne mérite pas mieux). Là-dessus, afin que je puisse être logé dans la capitale, un de mes camarades est parti quelques jours chez sa mère pour me laisser généreusement son studio parisien et vogue ainsi mon joli camion rouge, me voici en route vers la Ville Lumière suffisamment en avance pour passer chez le coiffeur et avoir le temps, sur place, de travailler les sujets de l’émission. Je précise que tous ces détails très boutique étaient parfaitement connus de l’équipe de CSOJ, de même qu’il était parfaitement acquis pour chacun que je n’avais rien à vendre sur le plateau puisque mon roman est en cours d’écriture et que donc, je le répète – mais la répétition est la base de la pédagogie ne cesse de nous asséner Vaquette –, je suis monté à Paris participer à l’émission exclusivement parce qu’on m’en avait prié et ce, intégralement à mes frais (puisqu’évidemment je ne serai jamais remboursé) et en ayant mis à la porte de chez lui un camarade pour rien – je sais, tous ces détails sont assez sordides et feraient un joli conte (compte ?) social qu’on pourrait appeler le Charclo et la star télé, soyez certains que je préférais absolument pouvoir le nommer, en hommage à Jean-Luc Godard, le Dandy reusta et la speakerine de France 2.
La suite ? Il faudrait la demander à Taddeï en personne, de mon côté, je ne peux que vous proposer quatre hypothèses. La première qui serait la plus flatteuse mais malheureusement le temps et les désillusions successives font que je n’y crois guère, c’est qu’humainement Frédéric se soit senti trahi par ma vidéo et que la douleur de me revoir si vite après cette mésaventure l’ait poussé à m’éconduire ainsi (mais pour quelqu’un qui déclare haut, fort et avec un courage et une classe indéniables "Je suis sur le service public, ce n’est pas à moi d’inviter les gens en fonction de mes sympathies ou de mes antipathies", ce serait malgré tout difficilement défendable, mais bon, admettons). La deuxième, c’est que j’ai été puni, comme à l’école, comme toujours depuis que je suis petit : tu te rends compte de ce que tu as fait là, Vaquette ? Ah là là !, il faut que papa Frédéric te donne une bonne leçon ! La troisième, c’est que Vaquette étant incontrôlable – imaginez même qu’il s’en targue et prétend tout de même faire carrière ! –, si ça se trouve, sur le plateau, dans une émission consacrée à l’hypocrisie, il se serait tout de go adressé à l’animateur en lui disant droit dans la face "Eh ! Toi ! Tu parles de Cahuzac, OK, mais la vidéo que tu viens de me censurer en me menaçant de ne pas m’inviter ce soir si je ne la coupe pas, c’est la même chose, non ?!" – trop dangereux… La quatrième hypothèse enfin, c’est juste de se dire que mon actu étant en cet instant un éternel retour à mon scabreux Mort aux Juifs, il n’était peut-être pas de la plus absolue urgence d’offrir un éclairage trop direct à une infamie de si mauvais goût, Dieudonné suffisant largement en matière d’emmerdes avec – nous y revenons – les cons et les mal-comprenants autoproclamés chasseurs de nazis.
Frédéric !, si tu veux répondre honnêtement et sans faux-fuyants à la question et nous dire quelle(s) hypothèse(s) est (ou sont) plus ou moins exacte(s), évidemment tu es le bienvenu. Et même, tiens !, si tu m’appelles juste pour me dire que tu regrettes, tout sera dit : chacun qui me connaît personnellement sait à quel point je ne suis absolument pas rancunier et a contrario absolument fidèle quant aux meilleures choses. Et puis, Victrix patienta fati, la patience victorieuse du destin – c’est ce qui est gravé au-dessus de la porte monumentale du château (le château de Boucard) du principal suspect de mon prochain roman…
J’ajoute encore deux choses à ce texte déjà bien long.
D’abord, et ça fera rire jaune ceux qui regarderont tous les épisodes de mon entretien vidéo, Taddeï y a très souvent le beau rôle, celui du héros seul contre tous qui combat jour après jour l’insidieuse censure qui dévore notre pays – définitivement rires ! À l’époque où j’ai créé Un printemps bizarre, Costes avait publié un texte d’insultes sur le projet (Un printemps pourri pour ceux qui s’en souviennent) et il avait été alors jusqu’à me menacer physiquement quelques minutes avant que je n'entre en scène (n’importe qui qui connaît nos beaux métiers comprendra à quel point c’est parfaitement dégueulasse), eh bien !, vous savez quoi ?, non seulement Costes a participé au Printemps bizarre à des conditions scandaleusement dérogatoires (et conséquemment à mes frais) qu’il a "négociées" en agissant ainsi, mais par la suite, nul n’a jamais pu m’entendre dire du mal de son travail à cause de, comment dirais-je ?, allez !, z’y va cette embrouille de bâtard, ça me semble une formulation appropriée (et depuis je l’ai invité à dîner chez moi sans absolument aucun ressentiment mais avec beaucoup de plaisir : définitivement je suis incapable d’être le moins du monde rancunier). Vous allez de nouveau rire, ou pas, mais j’étais persuadé que Frédéric, et c’est pour ça que je conçois (ou concevais) de l’estime pour lui, était exactement comme moi, trop orgueilleux pour se pardonner la moindre bassesse : la balle est donc dans son camp, nous verrons au final si j’avais raison de lui accorder cette estime, ou pas. J’ajoute que si je devais couper tous les passages de Une histoire de censure qui parlent de tel ou tel, il n’en resterait plus rien et de ce fait je ne le ferai désormais plus (j’ai ajouté un avertissement en début de vidéo, on va dire que ça suffira), juste, j’affirme ici que Frédéric a obtenu de moi par l’affect ce que personne – je l’ai assez prouvé (demandez à mon éditrice), je peux donc me permettre d’affirmer cela en étant a minima crédible – n’aurait obtenu par la menace ou par la pression. Humainement, toute cette histoire me laisse en conséquence un goût très amer dans la bouche.
Ensuite et enfin, cette nouvelle mésaventure est d’une ironie mordante. Tout de même, voir sa présence dans un média annulée suite à des propos consacrés à la censure, c’est drolatique s’écrierait l’IndispensablE. Par delà, cela illustre exactement, à un point ahurissant même et en tout état de cause de façon fantastiquement édifiante, tout ce que je raconte dans ce long entretien. Absolument tout. En vrac (je vais tenter de ne pas faire trop long pour ne pas paraphraser ces vidéos, ceux qui les regarderont intégralement comprendront d’évidence ce que je veux dire) : la censure que ce n’est jamais de la censure juste une déprogrammation de dernière minute pour des raisons indépendantes de la volonté de l’équipe et il faut vraiment que Vaquette chique au martyr pour y voir le moindre lien de cause à effet avec son sulfureux travail ; l’impossibilité aujourd’hui de dire le mot Juif sans être immédiatement accusé d’être antisémite et par-delà que ce sujet exige impérieusement d’être traité différemment de tous les autres (parce que j’aurais consacré mon entretien à l’histoire du punk et j’aurais affirmé au débotté que "Il me semble, enfin, j’ai cru comprendre mais il faudrait lui demander précisément, que Taddeï préfèrerait la coldwave aux Bérurier noir…", sérieusement, qui peut croire que même si c’était une énorme connerie qu’il n’a jamais pensée, cela aurait abouti à mon exclusion de l’émission ?!) comme s’il possédait un statut divin ou magique ou…, bref, c’est ce qu’on appelle un tabou, c’est dommage d’en avoir lorsqu’on est un esprit éclairé ; le constat qu’il n’y a pratiquement aucune censure, que l’éventuel lobby juif ne sait même pas que j’existe (car c’est ça que je raconte dans ces vidéos, uniquement ça et absolument jamais des sous-entendus complotistes et antisémites), non, à la place, juste de l’autocensure en permanence – sur ce point du moins, Frédéric !, ne me dis pas que j’ai tort ! ; qu’en pénalisant systématiquement celui qui, sur n’importe quel sujet, ouvre sa gueule lorsque celui qui se tait ou ne crache que de l’eau tiède est invité partout, en demandant à des bouffons puisque c’est ce que je suis et comme ça que je me définis, de ne plus être irresponsables – parce que même si j’ai eu tort de faire parler ainsi Taddeï dans mon entretien, je n’y reviens pas, je suis prêt à l’admettre avec grâce je le répète, juger mes propos comme on jugerait ceux d’un responsable politique devant la représentation nationale n’a aucun sens ! –, en n’acceptant pas qu’ils aient le droit absolu de ne pas être prudent et raisonnable mais au contraire qu’ils puissent dire tout et n’importe quoi au prince, parfois même la vérité, on dresse toute personne qui tente de proférer une parole publique à n’être qu’un chien castré et formaté, comme on ne voit que cela dans tous les médias, dont la parole ne dépassera jamais le cadre de la bienséance de l’époque exigée par tous – là encore Frédéric, ose me dire que j’ai tort ! ; et puis, pour finir parce que c’est l’essentiel de ce qui est dit dans ce long entretien, pour faire une carrière aujourd’hui comme hier (cf. Balzac, Léon Bloy, la Volupté de l’honneur, Tartufe bien sûr, etc. – rien de nouveau), il faut être malin ce que je ne suis absolument pas (ce texte en est la preuve, n’est-ce pas ?), ce que je n’ai absolument jamais su être et au final là où un autre aurait su taire sa gueule, aller sucer servilement Taddeï et grimper comme le lierre obscur de Cyrano en circonvenant son tronc et en lui léchant les boules et l’écorce, là où à la limite un autre encore aurait su se servir de ces "annulations de dernière minute" à répétition pour faire naître un buzz à la Dieudonné ou à la Orelsan lui permettant au final, drapé dans son statut de censuré médiatique, de remplir le Zénith, moi, je viens juste de m’enfoncer un peu plus encore dans l’underground en perdant mon seul vague allié dans la place, semblant répéter inlassable depuis que je suis tout petit – je sais, je suis vachement classe – "l’héroïsme, c’est de préférer une belle défaite à une victoire sans grâce" : no comment. Ah si !, un tout de même pour conclure, le même que dans ces vidéos – quel teasing ! – : ne vous étonnez pas que ces mécanismes de censure jamais avoués soient au cœur de mon prochain – enfin, on verra, c’est soit ça soit j’ouvre un resto, je commence à en avoir vraiment un peu trop marre – Crevez tous, deuxième massacre : une réhabilitation de l’aigreur. Sous vos applaudissements s’il vous plait.

 

L’IndispensablE, avril 2013

 

P.-S. : À cause des circonstances narrées plus haut, j’ai été le premier invité de l’émission et on peut imaginer sans me donner une importance ridiculement excessive que cet évènement ait pu un tout petit peu inspirer à l’équipe de CSOJ son thème général du soir : l’hypocrisie. En tout cas, je peux au minimum affirmer que le sujet concernant le racolage passif, je l’ai suggéré moi-même dès la semaine précédente même si je ne doute absolument pas que Frédéric et ses comparses y auraient évidemment pensé tout seuls sans mon aide précieuse. Juste, mon prochain roman parlant de prostitution, j’ai porté il y a quelques mois de cela un regard attentif et critique au bouquin de Ruwen Ogien (présent lors de l’émission) consacré au sujet (le Corps et l’argent) et en conséquence, j’aurais pu lui apporter une contradiction constructive. Ce que je veux surtout dire ici, c’est que ce soir-là (ou jamais…), sur les sujets abordés, j’aurais assurément eu des choses à dire – choses que j’avais commencé à structurer assez sérieusement avant d’être viré (eh oui !, en substance, j’ai bossé pour rien, ça ne fait plaisir à personne : à moi les prud’hommes !) – et je suis absolument certain que les choses en question n’auraient ressemblé ni sur le fond ni sur la forme à ce que les intellectuels (très peu) de service (beaucoup plus) ont dû débiter sur le plateau. C’est dommage.

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Épilogue

Le texte précédent a été mis en ligne le lundi 15 avril (2013) un peu après 17 h. À 19 h 14, pratiquement deux heures plus tard pour ceux qui ont du mal avec l’arithmétique la plus élémentaire, Frédéric Taddeï m’a appelé et nous nous sommes expliqués pendant plus d’une heure entre personnes qui ont suffisamment d’orgueil pour ne pas s’enferrer dans une fierté excessivement mal placée. Ça ne lui a pas fait plaisir que je le mette maladroitement en scène dans un cadre qui aurait pu laisser penser qu’il avait la moindre complaisance envers l’antisémitisme alors même que cela le répugne radicalement et que je le fasse par la suite passer pour un odieux censeur malgré ses déclarations publiques affirmant haut et fort qu’il ne l’est incontestablement jamais. Je comprends. Ça ne m’a pas fait plaisir de mon côté de perdre une semaine de travail sur mon roman, de monter à Paris à mes frais pour rien et de me faire congédier comme un laquais. Je pense qu’il l’a de son côté également bien compris. Le clash – yo ! – est donc clos et je suis en conséquence invité de bonne grâce quand bon me semblera sur le plateau de CSOJ (ce qui ne sera pas avant la rentrée prochaine, je tiens dorénavant à ne plus être dérangé dans l’écriture de mon bouquin). J’ajoute qu’après une telle promesse proférée par n’importe lequel de ses collègues, je conclurais par un circonspect "On verra…" (on me l’a trop fait le coup de l’annulation pour des raisons fortuites mais ce n’est que partie remise bien entendu, tellement remise d’ailleurs qu’on la cherche encore quelque part entre le téléphone qui ne répond jamais et le tapis épais en-dessous duquel se planque le responsable pour ne pas avoir à décrocher le combiné), avec lui je n’ai pas de doutes, je le lui épargne donc ici tout procès d’intention.
J’ai été viré d’un lycée et d’une école d’ingénieur, de manière très souvent injuste, et j’ai été au contraire fermement soutenu, parfois même de façon imméritée, à Normale sup ou au Collège de France, assurément parce que les rares qui sont mieux que médiocres sont suffisamment sûrs de leur force et surtout de leur valeur pour ne pas rechercher chez les autres une validation de celles-ci dans un rapport de domination hiérarchique. En conséquence, libérés de ce mélange de vanité, de faiblesse et de jalousie, ils ont eu le loisir de percevoir mon caractère, disons iconoclaste et incontrôlable, non pas comme une menace pour leur amour plus ou moins propre, mais potentiellement comme une richesse qui m’aurait permis, peut-être, un jour, de trouver quelque chose en physique là où un chien castré et formaté – nous y revenons – ne découvrira jamais rien qu’on ne lui ait auparavant servi sous les yeux.
En ce sens, mon texte était intelligent, pas malin (j’entends par malin le fait d’agir en fonction de ce que va nous apporter ou non nos actes, disons l’alliance du calcul, de la prudence et de l’opportunisme) mais assurément intelligent. Si comme la quasi-totalité des gens auxquels j’ai pu être confronté dans ma vie professionnelle depuis vingt ans, Taddeï n’avait attendu de moi que la preuve de l’assujettissement à son camp, à ses intérêts et à sa personne, il ne m’aurait jamais pardonné de ne pas avoir accepté servilement et sans dire un mot la punition qu’il m’avait infligé, mais comme j’espérais justement qu’il valait un peu plus que cela, j’ai ouvert la porte sans insultes mais sans compromissions à un rapprochement qui n’exige aucun vaincu, juste qu’il me prenne dorénavant comme je suis, iconoclaste et incontrôlable on a dit. Je sais, je suis trop fort.

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